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L’Agenda 2030 : un défi culturel ?

Elodie Lopez, ASSH
Nachhaltigkeit

La collaboration entre scientifiques, artistes et institutions culturelles recèle un potentiel important pour la réalisation des objectifs de durabilité en Suisse.

Des expérimentations liées aux enjeux socio-climatiques dans des institutions culturelles ? Des laboratoires vivants dans lesquels scientifiques, artistes, et citoyen·ne·s collaborent ? Des créations qui contribuent aux réflexions, discussions et transformations sociétales liées au développement durable ? Les problématiques environnementales constituent un champ de recherche occupé généralement par des sciences exactes, en particulier par les sciences naturelles. En considérant l’Agenda 2030 comme un défi culturel, on peut se demander quelle place y occupent les sciences humaines et les sciences culturelles. Dans cet article, je partagerai quelques observations sur le champ de recherche ouvert par les humanités environnementales, qui me permettront d’interroger la place de l’institution culturelle et de certains médias artistiques dans le contexte de la transformation sociétale nécessaire pour orienter nos sociétés vers plus de durabilité.

Les humanités environnementales mettent à l’honneur l’ensemble de l’expérience humaine

Des portes s’ouvrent pour initier une telle réflexion dès que l’on s’intéresse aux humanités environnementales (environmental humanities), champ de recherche transdisciplinaire visant à mettre en valeur les méthodes, approches et concepts des sciences humaines aux problématiques environnementales. Dans cette perspective, les problèmes environnementaux et défis en matière d’égalité auxquels nous sommes confronté·e·s ont trait à des questions sociales et culturelles, nécessitant une remise en question de la manière dont les connaissances spécialisées sont cadrées. Il s’agit entre autres de produire, représenter et utiliser des connaissances orientées vers l’action de manière plus inclusive et diversifiée. En ce sens, les humanités environnementales cherchent à utiliser des méthodologies, des épistémologies et des valeurs issues de l’ensemble de l’expérience humaine pour comprendre et traiter les problèmes environnementaux. Ses méthodes mettent à l’honneur la participation de tiers, la transdisciplinarité ou encore les « laboratoires du monde réel » (real-world labs). Une place importante est accordée à la collaboration avec les artistes, au recours aux médias artistiques, ainsi qu’aux environnements artistico-culturels qui permettent des réflexions lentes, profondes et nuancées (Kueffer et al. : 2018 ; Kueffer et al. : 2017).

L’institution culturelle : partenaire de recherche et de l’Agenda 2030 ? 

Parmi les espaces artistico-culturels qui semblent chers aux humanités environnementales, on trouve les institutions culturelles, comme les théâtres ou les musées. De là à les considérer comme partenaires pour accueillir et donner une impulsion aux réflexions sur les problématiques environnementales, voire même pour accompagner les transformations sociétales ? C’est en ce sens qu’est intervenue la directrice artistique du Théâtre populaire romand de La Chaux-de-Fonds, Anne Bisang, lors d’une table ronde organisée dans le cadre de l’événement « Uni’Vert de demain » faisant partie de la série de manifestations « Consommation (ir)responsable ».

Le programme Big Bounce, auquel appartenait également cet événement, vise à évoquer la potentialité d’un changement vers un autre monde, en partant du principe que la culture a un rôle important à jouer ici. Difficile de ne pas faire de lien avec les expérimentations menées au théâtre de Vidy en collaboration avec l’Université de Lausanne depuis plusieurs saisons, à l’image du projet « Sustainable theatre ? » actuellement en cours ou encore des cycles « Imaginaires des futurs possibles » qui, en faisant se rencontrer scientifiques, citoyennes, citoyens et artistes, visaient à ouvrir un dialogue autour du « nécessaire renouveau des imaginaires du futur face aux urgences climatiques ». À Vidy, les cycles sur les imaginaires du possible expérimentaient des voies innovantes pour faire de la recherche de manière participative et transdisciplinaire, en partant du principe que l’art et la culture ont leur propre langage qui permet de contribuer à la résolution des problèmes socio-environnementaux.

Musées en redéfinition vers plus d’engagement sociétal

L’implication de l’institution culturelle questionne aussi les musées, qui sont aujourd’hui sujet à une redéfinition. En 2019, le Conseil international des musées (ICOM) en a proposé une explicitant la contribution de l’activité muséale « à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire ». Dans une certaine mesure, donc, à l’atteinte des objectifs posés par l’Agenda 2030. Cette définition a provoqué de vifs débats : l’institution culturelle peut-elle être engagée vis-à-vis du monde social ? En contribuant à la justice sociale, à l’égalité et à la protection de la planète, ne s’idéologise-t-elle pas trop ? N’est-elle pas trop politique ? Par rapport à ces questionnements, la Stratégie pour le développement durable du Conseil fédéral semble s’être positionnée puisqu’elle ne considère ni l’institution culturelle ni les acteurs culturels comme des partenaires dans la réalisation des objectifs de durabilité.

D’autres langages pour penser un avenir durable ? L’exemple de la fiction utopique et dystopique

Au cours de la table ronde qui s’est tenue lors de l’événement « Uni’Vert de demain », le rôle du théâtre comme médias pour sensibiliser et engager un public sur des questions environnementales a également été soulevé par Lygia Pavitt, cocréatrice d’Impro Impact, une troupe qui utilise l’improvisation théâtrale pour sensibiliser le public sur des questions environnementales. Mais d’autres médias artistiques, comme la littérature, semblent aussi ouvrir des pistes de réflexions intéressantes. Dans un exposé tenu dans le cadre de la série « Consommation (ir)responsable », la professeure Agnieszka Soltysik Monnet (Université de Lausanne) s’est intéressée au genre de l’utopie et en particulier à l’utopie écologiste déployée dans le roman Ecotopia d’Ernest Callenbach (1915).

La professeure en littérature américaine a évoqué l’importance de l’utopie écologiste pour le développement des mouvements écologiques dans les années 1970. L’analyse du roman a mis en évidence le système de valeurs et le fonctionnement de la société romanesque, qui intègre par exemple certaines mesures discutées aujourd’hui dans des contextes qui n’ont rien de fictionnel, comme l’intégration des coûts sociaux dans le prix des biens et des marchandises. Pour la professeure, l’œuvre pose des questions fondamentales : à quoi pourrait ressembler une société plus durable dans son quotidien ? Quels sont les changements de comportement qui permettraient de faire advenir une société durable ? De quoi les individus ont-ils besoin pour être heureux ?

Ces questions sont celles que nous devons nous poser aujourd’hui. Elles nous conduisent à interroger l’œuvre comme un tremplin pour mener des réflexions collectives sur des futurs plus durables. Peut-on la concevoir comme un laboratoire expérimental, au même titre que les laboratoires expérimentaux des humanités environnementales ? Quelle importance revêt l’utopie dans la résolution des défis socio-environnementaux ? Permet-elle, comme les expérimentations menées au théâtre de Vidy, de stimuler les imaginaires de futurs possibles ?

Interroger, réfléchir et valoriser les approches culturelles et des sciences humaines sur la durabilité

Honorer l’engagement de la Suisse à l’horizon 2030, transformer nos sociétés afin de pouvoir les faire évoluer dans le cadre des limites planétaires : voilà des défis culturels qui interrogent les contributions des sciences culturelles et humaines sur ces questions, et d’un même mouvement, l’implication des espaces artistico-culturels, la collaboration avec les artistes et les citoyen·ne·s, ainsi que le recours à certains médias artistiques. Avec ces quelques lignes, nous constatons que quelque chose se passe dans la culture eu égard aux objectifs de durabilité : une réflexion critique des approches culturelles et des sciences humaines sur la durabilité dans le contexte de l’Agenda 2030 est donc nécessaire, en particulier sur le volet de la consommation durable. Si ces perspectives vous intéressent ou que vous souhaitez y contribuer, contactez-nous, nous sommes à votre recherche !

Références

Kueffer, Christoph, Katharina Thelen Lässer and Marcus Hall (2017): Applying the Environmental Humanities: Ten steps for action and implementation. Swiss Academic Society for Environmental Research and Ecology, Swiss Academy of Humanities and Social Sciences, Bern.

Kueffer, Christoph et al. (2018): Applying Environmental Humanities, in: GAIA 27/2, pp. 254-256. https://doi.org/10.14512/gaia.27.2.16

L'auteure

Elodie Lopez est collaboratrice scientifique chez l'ASSH. Elle se focalise actuellement sur le thème de la consommation durable en lien avec les objectifs de durabilité 2030 de l'ONU. L'ASSH s'engage à travailler sur ce thème à partir de 2021 dans le but d'y apporter l'expertise multiforme des sciences humaines et sociales. 

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Cette publication est en accès libre, sous licence CreativeCommons CC BY-SA 4.0.