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Early Career Award : trois chercheuses récompensées par l’ASSH

Un nouveau nom pour le prix et trois lauréates : voici l’essentiel de l’édition 2025 en un coup d’œil.

Afin de mieux refléter le contexte généralement international dans lequel évoluent les chercheuses et chercheurs, le prix de l’ASSH, jusqu’ici connu sous le nom de Prix de la Relève, s’appelle désormais Early Career Award. Cette année, le jury a distingué trois lauréates dont les travaux scientifiques se sont démarqués par leur grande qualité : Stéphanie Soubrier (Université de Genève), Madeline Woker (Collegium Helveticum / University of Sheffield) et Magdalena Breyer (Université de Bâle).

Premier prix : un éclairage sur les « boys » à bord des paquebots français

Recrutés majoritairement au sein des populations colonisées par la France, les « boys » servaient à bord des navires de la compagnie des Messageries Maritimes, la première grande entreprise française de navigation à vapeur. Longtemps oubliés par l’histoire économique et par celle des mouvements ouvriers, ces domestiques présents sur les paquebots des empires coloniaux n’avaient jusqu’ici guère retenu l’attention de la recherche historique. Stéphanie Soubrier comble aujourd’hui cette lacune.

La mondialisation a intensifié le trafic maritime, transformant les paquebots en espaces marqués par de fortes hiérarchies entre les passagers venus des métropoles et les « boys ». L’article primé dresse un portrait collectif de ces travailleurs, remettant en question l’image stéréotypée du domestique subordonné et efféminé. Soubrier met en lumière comment l’emploi à bord ouvrait, pour ces hommes, des perspectives de mobilité et de résistance. Les efforts de la compagnie maritime pour empêcher les déplacements sans retour des colonies vers les métropoles, la désertion, la contrebande ou l’organisation syndicale sont restés sans effet.

Appréciation du jury

« L’article de Stéphanie Soubrier convainc par son écriture d’une ‹ histoire globale par le bas › et sa délimitation géographique sur un lieu précis. Cela permet de regrouper différents processus autour de la figure du ‹ boy › et de rendre l’analyse particulièrement tangible. La chercheuse exploite en outre des sources jusqu’alors inconnues.»

Lauréate : Stéphanie Soubrier

Stéphanie Soubrier est historienne et maître-assistante à l’Université de Genève. Elle a obtenu son doctorat en histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a publié en 2023 l’ouvrage Races guerrières. Enquête sur une catégorie impériale, 1850-1918, dans lequel elle examine l’émergence d’une « race guerrière » dans le contexte colonial français. Cette catégorie de l’ethnographie militaire désignait des populations de l’empire colonial français censées posséder des aptitudes particulières au combat et au métier militaire. 

Deuxième prix : mieux comprendre la création des paradis fiscaux

La deuxième lauréate, Madeline Woker, part d’un constat : contrairement aux anciennes colonies britanniques, les territoires coloniaux français ne se sont pas durablement transformés en paradis fiscaux. Pourquoi cette différence ? Pour répondre à cette question, l’historienne retrace l’essor et le déclin des paradis fiscaux dans l’empire colonial français entre le milieu des années 1920 et la fin des années 1950.

Dans l’entre-deux-guerres, l’écart entre les taux d’imposition dans les métropoles et ceux en vigueur dans les colonies s’est creusé. De nombreux entrepreneurs et responsables politiques ont alors soutenu la mise en place de régimes fiscaux plus avantageux dans les territoires coloniaux. Cela a également conduit des entreprises coloniales françaises à transférer progressivement leur siège à l’étranger. Mais, à la différence de l’Empire britannique, la France craignait de subir d’importantes pertes de revenus, tout en rêvant de reconquérir grandeur et pouvoir pour le pays. Ainsi, les autorités françaises, et en particulier le ministère des Finances, se sont largement opposées à la transformation des colonies en zones de défiscalisation. Refusant de modifier la législation en ce sens, elles ont freiné ce développement de manière active. Madeline Woker souligne ainsi le rôle de l’État dans la création (ou la prévention) des paradis fiscaux.

Appréciation du jury

« Cet article se distingue par une argumentation remarquable, solidement appuyée sur les sources, et par une problématique originale en histoire comparée », félicite le jury. « L’analyse repose sur des bases rigoureuses et offre des résultats particulièrement pertinents pour les débats contemporains. » 

Lauréate : Madeline Woker

Madeline Woker est une historienne spécialisée dans la colonisation, l’impôt et le capitalisme.  Elle termine en ce moment un livre qui porte sur l’histoire de l’impôt et les résistances à l’impôt dans le monde colonial français des années 1850 aux années 1950. Après des études en France et au Royaume-Uni, elle a obtenu son doctorat à l’université Columbia et a ensuite enseigné à Brown, Cambridge et Sheffield. De 2023 à 2024, elle a été Early Career Fellow au Collegium Helveticum à Zurich. 

Troisième prix : davantage de voix pour les Vert·e·s en raison des représentations inégalitaires des genres

Au sein des parlements d’Europe occidentale, la proportion de femmes a d’abord rapidement augmenté dans les années 1980, mais l’objectif d’une représentation paritaire reste encore lointain, et cette progression semble marquer le pas depuis une trentaine d’années. Quelles sont les conséquences de cette évolution sur les opinions politiques des citoyennes et citoyens ?

Magdalena Breyer a mené une enquête en Allemagne qui permet de tirer plusieurs conclusions. Premièrement, si les hommes perçoivent implicitement une perte de statut due à la meilleure représentation des femmes en politique, cela ne se traduit pas chez eux par une réaction hostile sous forme de ressentiment ou de vote pour l’Alternative pour l’Allemagne (AfD). Deuxièmement, face à une perception de stagnation dans le processus d’égalité, les femmes ont tendance à voter pour des partis progressistes, en particulier les Vert·e·s. Elles espèrent ainsi obtenir une meilleure représentation. Enfin, tant les hommes que les femmes évaluent positivement la représentation croissante des femmes, et donc l’avancée vers l’égalité. Breyer montre que les partis progressistes peuvent mobiliser les groupes sociaux en ascension sociale (tels que les femmes) en mettant en avant les inégalités existantes. 

Appréciation du jury

« Cet article se distingue par son interdisciplinarité et une approche expérimentale convaincante sur le plan méthodologique. Sa conception passionnante invite à réfléchir aux enjeux de demain et possède un potentiel d’inspiration pour des projets similaires. La pertinence sociétale de la question de l’égalité rend cette contribution particulièrement précieuse. »

Lauréate : Magdalena Breyer

La politologue Magdalena Breyer a obtenu son doctorat à l’Université de Zurich en 2023. Depuis, elle travaille comme postdoctorante à l’Université de Bâle, dans le cadre d’un projet portant sur le nouveau rôle politique de la classe sociale en Europe de l’Ouest. Elle étudie comment les changements économiques ou culturels influencent le comportement électoral individuel ainsi que les stratégies des partis. Ses intérêts de recherche portent tout particulièrement sur le lien entre le genre et le comportement politique.