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« Conjurer la contumace prononcée à l’encontre des femmes dans le récit historique »

Questions : Fabienne Jan, collaboratrice scientifique
Gesellschaft – Kultur – Sprache

Un nouveau projet, qui se distancie de toute idéologie, veut mettre en lumière les femmes qui ont marqué l’histoire de Genève. Christophe Vuilleumier explique la démarche choisie.

Pouvez-vous nous dire comment est né le projet « Faire des femmes du passé nos héroïnes de demain » et quels sont ses objectifs ?

Ce projet entend répondre à une attente sociale et politique forte à Genève portant sur la féminisation des espaces publics. L’idée, très ambitieuse, est de pouvoir proposer aux entités publiques des recommandations de noms fondées sur une démarche académique et scientifique permettant à terme, si c’est là le vœu de ces entités publiques, de parvenir à une parité de noms hommes/femmes dans les espaces publics.

 Ce projet entend répondre à une attente sociale et politique forte à Genève portant sur la féminisation des espaces publics. 

Le projet n’est pas pour autant politisé et vise à explorer un champ de recherche somme toute peu étudié, celui des femmes en tant qu’individus et non en tant que genre, partant du principe évident qu’elles ont été partie prenante de l’histoire de notre pays et de nos régions au même titre que les hommes. Une gageure ? S’il est vrai que les femmes sont moins évoquées dans les archives, elles n’en sont pas pour autant complètement absentes. Il s’agit dès lors de procéder à des investigations dans des corpus de sources multiples et de recouper les informations, afin d’identifier des femmes ayant joué un rôle notable. À terme, c’est une liste de portraits sous forme d’un ouvrage pourvu de l’ensemble de l’appareil critique et des sources utilisées par les historien·ne·s qui sera à disposition des entités publiques et de la population et qui permettra, peut-être, de conjurer la contumace prononcée à l’encontre des femmes dans le récit historique par des générations d’historiens.

On imagine que des critères bien précis ont été établis pour dresser cette liste de noms de femmes ayant joué un rôle notable et ayant été bannies du récit historique. Quels sont-ils ?

Cette question peut être tout autant posée à l’égard des hommes. Il y a incontestablement une part d’arbitraire dans la détermination de ces noms ; un arbitraire présent au demeurant dans tout récit historique. Que l’on relise Michel de Certeau ou Patrick Boucheron pour s’en convaincre.

 Nous avons retenu trois critères qui semblent relativement évidents, soit les activités pionnières, les activités remarquées du temps de la personne et les activités que l’on pourrait considérer comme remarquables aujourd’hui. 

Cela étant, nous avons tâché de restreindre cette dimension, d’une part en considérant des profils aussi étendus que possible : sportives, politiques, scientifiques, artistes, voyageuses, femmes d’affaires, soignantes, mais aussi artisanes et sorcières (à noter qu’un postulat a été déposé devant les Chambres fédérales demandant que la Suisse rende hommage aux femmes qui ont été victimes de l’Inquisition). D’autre part, nous avons retenu trois critères qui semblent relativement évidents, soit les activités pionnières, les activités remarquées du temps de la personne et les activités que l’on pourrait considérer comme remarquables aujourd’hui.

Vous soulignez, ici comme dans l’article « Les oubliées de jadis » paru en octobre dans le blog du Temps, qu’il s’agit d’une démarche scientifique et non idéologique. Qu’est-ce qui distingue essentiellement cette action d’un projet comme 100 Elles*, mené par l’association l’Escouade, pour prendre un autre exemple d’initiative œuvrant pour davantage de représentation féminine dans les noms des espaces publics genevois ?

Ce projet ne se base pas sur une mouvance militante ou politique et n’a pas pour vocation première de lutter pour l’égalité des sexes. Il ne fait pas des actrices du féminisme des siècles passés une priorité, mais entend évoquer des femmes dont l’empreinte sur la société a été importante. Les résultats, ou l’absence de résultats, seront dès lors pragmatiques et documentés. Les chercheuses et chercheurs retenu·e·s dans le cadre de ce projet se distancient ainsi de toute idéologie et s’appliquent à une recherche rationnelle.

 Les chercheuses et chercheurs retenu·e·s dans le cadre de ce projet se distancient ainsi de toute idéologie et s’appliquent à une recherche rationnelle. 

Outre quelques historien·ne·s chevronné·e·s, une quinzaine d’étudiant·e·s de l’Université de Genève prennent part à ce projet sous l’égide de la professeure ordinaire Irène Herrmann ; l’occasion par ailleurs de confronter l’expérience – mais aussi parfois, il faut l’avouer, l’hermétisme – des historien·ne·s professionnel·le·s avec la candeur souvent porteuse d’innovation des jeunes chercheuses et chercheurs qui sont également formé·e·s à des sources relativement peu connues ou du moins peu utilisées, comme les Archives de la Vie Privée, les Archives contestataires, ou les archives des différentes communes genevoises. Pour l’heure, les résultats enregistrés sont particulièrement prometteurs.

Bien que non politisé, ce projet entend répondre à une attente sociale et politique forte, disiez-vous. Quels sont vos contacts avec les autorités politiques ? À quel moment sont-elles impliquées et comment se déroule ensuite le processus de décision ?

Les autorités cantonales soutiennent tacitement ce projet dans la mesure où elles souhaitent une démarche qui soit la plus académique possible, afin de faire taire les polémiques et donner une légitimité scientifique à des noms appelés potentiellement à venir agrémenter les espaces publics. Les communes genevoises sont également intéressées par ce projet puisqu’il leur incombe de proposer des noms au canton, lorsqu’un nouvel espace public est créé. Le projet bénéficie donc d’une certaine « bienveillance institutionnelle ».

C’est en définitive une commission officielle – la Commission cantonale de nomenclature émanant de l’un des départements cantonaux et constituée de représentant·e·s du milieu patrimonial, des Archives d’État, des communes et du canton – qui préavise les propositions de noms, avant qu’une décision formelle ne soit prise par le Conseil d’État.